Ghislaine est en maison de retraite, presque apathique. Lors d’un atelier olfactif, l’huile essentielle de rose va raviver les souvenirs positifs de cette période heureuse où elle s’occupait de son jardin. Pour Noémie, en conflit avec un chef de service autoritaire, c’est une olfaction prolongée d’huile essentielle de gingembre frais qui lui donne le courage de s’affirmer. L’olfactothérapie, une approche « holistique » en plein essor, repose sur la synergie du pouvoir de notre odorat et du génie thérapeutique des plantes, une alliance particulièrement efficiente. Ainsi, nous serions tous dotés d’un allié, méconnu et pourtant inestimable : le sens de l’odorat. Le solliciter peut nous ouvrir des pans mémoriels enfouis en cas de traumas et se révéler une voie de guérison. Zoom sur l’olfactothérapie, une thérapie à la fois psychoémotionnelle, énergétique et spirituelle. La construction du moi olfactif« À sa trentième semaine, dans le ventre maternel, le bébé vit des sensations olfactives véhiculées par le liquide amniotique ; il est déjà capable de détecter des changements in utero », expose Catherine Béhar, sophro-analyste et aromatologue. À la naissance, dès sa sixième heure, on peut observer que le nouveau-né dilate et rétracte ses narines, comme pour saisir les arômes dont l’air est porteur. « Il est capable de reconnaître l’odeur de sa mère ; si on met deux femmes côte à côte, c’est immanquablement vers elle qu’il se tourne », ajoute notre expert. Dans certains services de néonatalité, on diffuse de la vanille, qui se rapproche de l’odeur maternelle, pour calmer l’enfant… Ainsi, l’odorat jouerait un rôle majeur dans l’attachement mère-enfant. Attachement qui, lorsqu’il est correctement vécu et développé, va permettre un bon développement émotionnel, et des interactions bien adaptées avec l’entourage. Plus tard, quand vient le temps de l’adolescence puis de l’âge adulte et ensuite de la vieillesse, les odeurs restent de puissants guides inconscients. Conditionné par l’environnement psychologique, affectif, et aussi le contexte culturel et social de chacun, ce que l’on appelle le « moi olfactif » est déterminant tant dans l’élaboration de la personnalité que dans notre rapport aux autres et au monde ! L’olfaction : passerelle mémorielleDans le ventre maternel, le bébé vit des sensations olfactives véhiculées par le liquide amniotique. Pour mieux saisir le principe thérapeutique de l’olfaction, tournons-nous du côté de la science. De nombreuses recherches ont montré que les odeurs agissent de manière plurielle sur notre psychisme, à commencer par le biais de la mémoire : elles permettraient la réminiscence de souvenirs enfouis, comme l’illustre la fameuse madeleine de Proust. Ce processus incroyablement complexe a pu être mis en évidence par le Monell Center (Advancing Discovery in Taste and Smell) de Philadelphie. À savoir : les molécules chimiques, qui constituent l’odeur, sont captées par plus d’un millier de récepteurs différents tapissant la cavité nasale, qui transmettent l’information au bulbe olfactif. Les chercheurs du centre ont mis en évidence des liens neuronaux entre les bulbes olfactifs et le système limbique, le siège des émotions et de la mémoire. « D’où la capacité extraordinaire de l’odeur à faire émerger des souvenirs enfouis, avec précision, ainsi que leur contexte émotionnel », traduit Catherine Béhar. De plus, les vécus se révèlent différents pour chacun, et peuvent se teinter d’émotions positives ou inversement négatives, pour une même source. Des découvertes qui ont ouvert de nouvelles voies d’exploration dans le domaine de la santé publique, grâce en majeure partie à Patty Canac, experte en parfum et odeurs. À l’hôpital Raymond Poincarré, à Garches, un atelier olfactif mis en place en 2001, dans le service de rééducation neurologique du Pr Philippe Azouvi, aide à stimuler les patients ayant des troubles de l’attention et de la mémoire suite à un traumatisme crânien ou un accident vasculaire. À l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne, cette approche est utilisée pour une meilleure prise en charge psychologique et morale en gériatrie. Les ateliers complètent l’accompagnement ou la rééducation, sans jamais s’y substituer. Une thérapie PsychoémotionnelleAu croisement de la science et de la thérapie, a émergé une méthodologie innovante, l’olfactothérapie, qui connaît aujourd’hui de nombreux champs d’application. Mise au point en 1992 par Gilles Fournil, thérapeute transpersonnel, énergéticien et somatologue, cette approche utilise l’odorat et la vibration de certaines huiles essentielles pour soigner les traumas du passé. Conscient que l’odorat, sens archaïque, offre une voie privilégiée pour accéder aux émotions et à l’inconscient, ce pionnier mise résolument sur la dimension aromatique de la plante comme révélateur. « Les huiles essentielles dégagent des molécules aromatiques volatiles, détectées par les cellules olfactives tapissant la partie supérieure de la cavité nasale, en lien avec la zone limbique, siège de la mémoire, et des émotions. Court-circuitant ainsi le cortex et notre mental bavard », explique Catherine Béhar. L’action thérapeutique réside dans le message olfactif et biochimique que l’huile essentielle véhicule, qui va permettre de retrouver l’origine enfouie d’un traumatisme, un blocage. Il devient plus facile alors de comprendre les implications qui y sont associées : sensations physiques, croyances, comportements. « En tant que sophro-analyste, c’est un précieux outil complémentaire au travail thérapeutique », assure notre spécialiste. En premier lieu, une simple olfaction, à visée de détente, permet d’offrir rapidement un espace pour déposer une anxiété, et d’aller plus loin sur la sphère émotionnelle, cet espace souvent verrouillé, où se cachent les clés de compréhension d’une souffrance. Certaines huiles vont aller déloger une colère, une tristesse infinie, une peur viscérale, afin de la revivre, d’en comprendre le sens et de la pacifier. Par exemple, le basilic tropical, qui agit sur la sphère hépatique, va aider à exprimer la colère, et plus précisément le besoin caché derrière cette émotion. « J’ai pu observer également ses propriétés sur le plan transgénérationnel », ajoute notre expert. Une jeune femme rencontrait des difficultés pour concevoir un enfant ; tous les traitements se soldaient par des échecs, alors qu’elle et son partenaire ne présentaient aucune anomalie physiologique. La thérapie a révélé un aspect particulier de sa généalogie. Depuis plusieurs générations, les garçons arrivaient « morts-nés », une information, transmise inconsciemment, qui à son insu générait un puissant blocage. Un travail avec des huiles à forte résonance « psychogénéalogique », telles que la lavande vraie, l’hélichryse italienne, et surtout la camomille matricaire, ont permis de libérer des mémoires enkystées, pour s’en libérer. « Il n’y a pas une seule huile en cause, dans le processus de résilience. Sur le chemin, plusieurs vont se présenter. Chacune va agir différemment, selon l’histoire du patient et les odeurs qui ont construit sa mémoire olfactive », nuance la sophro-analyste. Son approche repose sur des interactions, avec pour commencer des huiles appréciées par la personne, « pour la sécuriser et l’encourager sur la voie de transformation », précise Catherine Béhar. Cependant, une huile essentielle qui provoque un rejet, présente un réel intérêt. « Elle donne une information sur la problématique à traverser et à pacifier pour passer à autre chose. » Et puis, parfois, l’une d’elles s’impose dans le cursus thérapeutique, sans raison apparente, et va opérer un déclic essentiel et ouvrir une brèche mémorielle pour la résilience. Une approche énergétique et spirituelle« Lors des formations du personnel, à l’hôpital où je travaille, entre autres, en soins palliatifs, je propose un dialogue olfactif avec la plante. Comment joue-t-elle sa propre musique ? Quelles sont vos sensations ? Qu’est-ce qui se passe dans le corps… », expose Agnès Addey, olfactothérapeute, praticienne en aromathérapie. En olfactothérapie, il existe un courant dit « aroma sensible », qui s’intéresse aux vertus « psychoénergétiques », en s’appuyant sur l’observation attentive, lors d’une olfaction prolongée ou encore méditation olfactive, des effets d’une huile essentielle. « On utilise le corps comme une harpe, dans une attitude innocente, sans chercher à étiqueter la plante », poursuit-elle. Dans un état de détente, avec la respiration, en laissant l’odeur faire son travail, on peut accéder à une mémoire corporelle, pour gagner en ancrage, en présence, rayonnement, dire sa vérité, élargir son champ de conscience ! « L’odeur est le fil d’Ariane, tu ne la lâches pas, on s’en sert comme d’un gouvernail ! » Avec l’olfaction, s’ouvre alors tout un univers sensoriel, piquant, sucré, en couleurs, des symboles peuvent surgir, ou encore des visualisations… « Pendant une méditation avec le citrus, j’étais plongée dans un rayonnement solaire, un pétillement corporel, une joie sans cause apparente », relate Guylaine. « Avec le ylang-ylang, une nuit de pleine lune s’est ouverte devant moi, dans une chaleur tropicale », se souvient Virginie. (C’est une fleur qui s’ouvre la nuit). « Avec le vétiver, j’ai senti une décongestion du bassin, une puissante odeur de cuir, avec un ancrage, comme si mon corps se densifiait ! », rapporte Marianne. La plante véhicule “le génie” de sa famille botanique !Certaines odeurs nous donnent des racines, ouvrent nos ailes. Pour une même olfaction, la diversité des mélodies, selon chaque personne, nous rappelle notre incroyable unicité, celle de nos histoires personnelles, et la diversité des voies de guérison. « Prenez la lavande officinale, en apparence anodine, aux vertus rééquilibrantes du système nerveux… Eh bien, sept personnes sur dix la rejettent ! », a observé Agnès Addey. Pourquoi ? « C’est également un puissant archétype du principe maternant, et nos affinités avec la plante vont dépendre de nos relations avec notre mère. » Mais comment agit la plante, de quel dialogue s’agit-il ? « La plante véhicule “le génie” de sa famille botanique ! », répond notre experte. Cette approche sensible a des affinités avec la tradition anthroposophique ; elle s’appuie sur les connaissances botaniques et biochimiques de l’aromathérapie scientifique. Ainsi, chaque huile essentielle s’inscrit dans une famille spécifique qui possède sa signature propre, ou « geste », comme l’appellent les spécialistes. Prenons par exemple l’huile essentielle de cèdre de l’Himalaya. « Une simple olfaction peut nous transmettre ses qualités de solidité, de puissance rassurante, de calme ancestral, solennel et lumineux mettant à distance les émotions », détaille notre spécialiste. Or, ces qualités goûtées pendant une olfaction de cèdre de l’Himalaya sont dans la même lignée que celles transmises par l’ensemble des conifères. « Les conifères en général nous extraient de notre temporalité chronologique de fourmi affairée pour nous permettre de goûter un autre espace-temps, qui nous rapproche de la mémoire des origines. Datant d’il y a 360 millions d’années, les conifères sont à l’origine des premières molécules aromatiques », développe l’aromathérapeute. Alors que certaines nous donnent des racines, d’autres « familles » ouvrent nos ailes et nous emportent vers des espaces non ordinaires, favorisant des états de conscience spirituels. Comme les lauracées, par exemple, famille à laquelle appartient le ravintsara : « Ces plantes entrent en résonance avec la notion de destinée, nous guident dans le silence à la rencontre de notre maître intérieur, la voix de la conscience émerge », illustre Agnès Addey. Si nombre de rites religieux ont recours à l’encens, ce n’est pas un hasard. « L’encens oliban s’inscrit dans la famille des burseracées, tout comme les myrrhes, qui nous amènent à dépasser la dualité, à transformer l’amertume pour développer une qualité de compassion », ajoute notre experte avec une certaine tendresse. Tous deux en olfaction sont de puissants « interrupteurs », pour faciliter l’ouverture du canal spirituel. Dans notre corps réside la clé d’un rapport à soi plus apaisé, l’odorat, grâce auquel, dans un subtil dialogue avec les plantes, il est possible de se réapproprier son histoire et de s’en libérer pour capter le puissant chant de notre âme. Véritable thérapie du troisième millénaire, l’olfactothérapie met en évidence, une nouvelle fois, nos liens avec la nature et notre potentiel de guérison intérieur. Rencontre avec Michèle Pantalacci Aromatologue, distillatrice, productrice en Corse.Quel est votre lien avec l’olfactothérapie ?
C’est grâce à des olfactions prolongées que ma vie a changé ! J’étais auparavant responsable d’une entreprise de métallurgie dans le sud de la France. L’huile essentielle d’hélichryse, l’immortelle, a tout déclenché. À chaque méditation olfactive, toute mon enfance s’est déversée dans ma conscience. Le dialogue intérieur qu’elle a permis a été une véritable révélation. Comment définiriez-vous une olfaction ? C’est la rencontre de deux êtres, vous et la plante, qui capte les informations du sol, mais aussi de l’air, de la lumière, et plus encore du cosmos, de tout ce monde invisible qui nous entoure. L’olfaction nous permet de capter ces informations, tant sur le plan organique, mais aussi aromatique, volatile, cellulaire… Le dialogue s’instaure sur toutes ces dimensions. Quel est le secret d’une bonne cueillette ? Ce dialogue avec la nature, la plante, qui fait la qualité d’une olfaction, commence dès ce moment. Tout est une histoire de détails ! La cueillette est un rendez-vous, précis, qui ne doit rien au hasard, ni à une stratégie. Il y a un temps pour cueillir la plante au bon moment de sa floraison. Je me fie aux abeilles. Cette symbiose entre l’animal et la fleur indique la montée de nectar, signe que toutes les bonnes conditions sont réunies. En quoi la distillation est-elle un procédé alchimique ? Elle permet la transmutation d’un végétal, un corps physique, en remède aromatique, selon les principes de Paracelse. La distillation à la vapeur d’eau est le procédé le plus noble, le plus respectueux pour obtenir une huile essentielle de la plante. Celle à basse pression est la plus naturelle. L’eau et le feu sont en jeu dans le processus. À ce principe de nature alchimique s’ajoute l’alambic en cuivre, un métal qui prend part à la distillation en conduisant au mieux la chaleur ; comme un gros chaudron, il est chaud et vivant. Article de référence
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